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HISTOIRE DES CIVILISATIONS
« Genèse d’un monde pastoral »

A travers un secteur d’altitude mal connu des historiens, le secteur d’étude, situé sur la planèze sud du Plomb du Cantal (10 000 ha), cette thèse a pour but d’étudier le système d’estive de l’intérieur, à partir de sources variées et complémentaires issues des archives, de l’archéologie et des témoignages actuels. Elle s’inscrit dans la lignée d’un master d’archéologie sur l’architecture pastorale. (Auteure du Doctorat : Violaine Nicolas).

Étude de la mise en place et des évolutions du système d’estive, sur la planèze sud du Plomb du Cantal, de la fin du Moyen Age, à la fin du XIXe siècle

L’élevage à l’époque moderne constitue un champ d’étude très peu exploré jusque-là. Le passage d’un élevage domestique et extensif à la fin du Moyen Âge à une économie d’estive intensive a été observé dans plusieurs régions de France mais sans aucune étude exhaustive. Or, dans cette perspective, l’Auvergne est un secteur intéressant car le système pastoral s’y est particulièrement bien développé et de manière durable. De plus, le paysage n’a pour ainsi dire pas changé. La fin complète de l’estive a eu lieu autour des années 1970 et les vestiges de structures saisonnières présentent un excellent état de conservation. D’autre part, le secteur d’étude, situé sur la planèze sud du Plomb du Cantal (10 000 ha), à cheval sur six communes, était réputé. Certaines « montagnes » (pâturages d’estive) sont fréquemment mentionnées dans les textes.
A travers un secteur d’altitude mal connu des historiens, cette thèse a pour but d’étudier le système d’estive de l’intérieur, à partir de sources variées et complémentaires issues des archives, de l’archéologie et des témoignages actuels. Elle s’inscrit dans la lignée d’un master d’archéologie sur l’architecture pastorale.

Enjeux du sujet

Dans le Cantal, les « montagnes » sont vouées aujourd’hui à l’élevage des bêtes à cornes, principalement des vaches à viande. Mais, jusqu’au milieu du XXe siècle, les vaches à lait dominaient largement. Elles constituaient la base d’une économie fondée sur la production de fromage, les « fourmes », fabriquées quotidiennement dans les « burons », par une équipe de trois hommes, traditionnellement entre le 25 mai et 13 octobre. Cette activité est souvent qualifiée d’ « ancestrale » dans les nombreux témoignages récents.

Au-delà de cette réalité, entrée à présent dans le domaine du folklore, l’histoire du système d’estive cantalien est très mal connue. Seuls les travaux archivistiques de L. Bouyssou ont permis de dater sa mise en place au début de l’époque moderne. Après la guerre de Cent Ans, l’autosuffisance, fondée sur une exploitation agropastorale du terroir, a fait place à une véritable économie pastorale spécialisée, sous l’impulsion principale des marchands bourgeois d’Aurillac. Mais ces recherches ont été placées à l’échelle de l’ensemble du département, sans véritable étude de cas. D’autre part, l’historiographie cantalienne ne comprend aucune étude de terrain pour les époques postérieures au Moyen Age. Les travaux les plus proches sont les prospections de P.-F. et G. Fournier, réalisées dans le Puy-de-Dôme, dans les années 1970 et l’étude sur le peuplement en Aubrac, dirigée par L. Fau, parue en 2006. Enfin, les changements résultant de la Révolution française puis de la modernisation de l’agriculture au XIXe siècle ont simplement été entrevus par quelques études ponctuelles sans faire l’objet d’une synthèse.

L’ensemble de la question relative à l’histoire de l’économie pastorale cantalienne est donc loin d’avoir été éclaircie. De nombreuses interrogations subsistent à propos du mécanisme de mise en place du système. Le rôle de la noblesse et du clergé est encore flou. Plus largement, les répercussions économiques sur la population aux différents échelons de la société restent à déterminer. Fermiers, seigneurs et marchands tiraient profit du système, mais dans quelle mesure et de quelle manière ?

Dans une région fortement marquée par l’émigration, provisoire et définitive, il s’agit notamment de déterminer si l’économie d’estive a pu fournir des alternatives intéressantes aux habitants les plus pauvres, à travers la location de pâturages, de bestiaux ou par le biais d’activités annexes comme le commerce ou le voiturage de produits. Au-delà de la classe la plus modeste, cette étude s’intéresse également aux détenteurs des « montagnes », afin de déterminer le poids de ce type de biens dans les stratégies d’ascension sociale et déterminer jusqu’à quel point l’accès à la propriété était verrouillé.

D’un point de vue spatial, une attention particulière est portée sur le fonctionnement interne de la zone pastorale. A travers l’architecture, le parcellaire et les usages relatifs à la gestion du terroir, cette thèse cherche à mettre en évidence les changements importants survenus dans les modes d’exploitation des « montagnes ». Ces derniers sont également révélateurs des moyens engagés par les seigneurs, et par l’administration royale, pour optimiser les rendements de cette économie. Ils reflètent le degré de spécialisation du système d’estive. Les liens de complémentarité qui peuvent exister entre la zone d’estive et le reste du finage sont aussi envisagés afin de s’interroger sur l’impact du système sur les communautés d’habitants.

La prise en compte de la Révolution permet de saisir les mutations liées à la gestion des « montagnes », d’un point de vue fiscal et administratif et de s’intéresser à l’émergence d’une nouvelle catégorie de propriétaires des « montagnes », à l’aube du XIXe siècle. Au-delà de cette rupture, le système a par la suite connu d’importants bouleversements, engendrés par la circulation des idées nouvelles en matière d’agriculture et d’hygiène notamment, et les améliorations du transport. Ils pourraient déjà préfigurer le déclin de l’économie d’estive avant même le début du XXe siècle.

En partant de données quantitatives, axées sur une petite fenêtre géographique, cette étude entend donc saisir le degré de spécialisation de l’économie d’estive et ses grandes phases évolutives sur la longue durée, de la fin du Moyen Age à la fin du XIXe siècle.

La planèze sud du Plomb du Cantal

La zone d’étude se situe au cœur du massif cantalien, sur la planèze sud du Plomb du Cantal, entre les vallées du Goul et de Brezons. Ce cadre géographique a l’avantage de présenter une grande unité, à la fois morphologique et climatique. Il s’agit d’un morceau de plateau volcanique, entaillé par trois vallées. La rudesse du climat et la densité du réseau hydrographique en font un terroir très particulier, propice à l’élevage saisonnier.

Il s’agit donc d’un secteur bien représentatif des « montagnes » cantaliennes, avec toutefois des particularités, notamment l’orientation du plateau au sud, qui favorise les liens commerciaux et linguistiques avec le Languedoc et entraîne un climat moins rude que dans d’autres zones orientées à l’ouest ou au nord.

Dans le cadre de son master, Violaine Nicolas a assuré les repérages nécessaires. Elle a étudié les édifices encore en place, datables de la fin de l’époque moderne, par le biais de relevés architecturaux et d’analyses d’archives (principalement les cadastres anciens). Elle s’était limitée aux zones d’altitude supérieure à 1200 m, sur quatre communes : Saint-Clément, Pailherols, Saint-Jacques-des-Blats (canton de Vic-sur-Cère) et Malbo (canton de Pierrefort). Ce secteur correspond à l’ancienne vicomté du Carladès.

Le choix à été fait pour la thèse d’élargir ce champ géographique aux altitudes comprises entre 1100 et 1200 m, et aussi d’y intégrer les montagnes situées sur les communes de Brezons et Cézens (canton de Pierrefort). Au total, la zone d’étude couvrira environ 100 km², avec un gradient altitudinal important propice aux comparaisons.

Une méthodologie ouverte sur la pluridisciplinarité

Le sujet de la thèse prend en compte tous les aspects liés au système d’estive : humains, fonciers, financiers, architecturaux et les évolutions environnementales. Cette étude fait clairement l’objet d’une approche pluridisciplinaire, dans la continuité de la recherche de master effectuée par la doctorante et dans la lignée des travaux de Ch. Rendu dans les Pyrénées. La méthode choisie, associant les sources écrites, archéologiques, ethnographiques et paléo-environnementales, permet de rassembler le plus grand nombre de données et de croiser les angles d’études.

A partir du XVIIe siècle, la documentation écrite est assez abondante et fait l’objet d’une étude approfondie. La phase de genèse et de mise en place du système, entre les XIVe et XVIe siècles, correspond à une mutation fondamentale dans l’économie rurale de cette région. Elle est surtout abordée au regard des riches vestiges archéologiques conservés.

L’essentiel des sources écrites relatives au sujet se situent aux archives départementales du Cantal. Tous les types de documents susceptibles d’apporter des renseignements sur les « montagnes » et les acteurs du système d’estive sont exploités : registres paroissiaux, livres de raison, terriers, rôles fiscaux, plans et cartes et les minutes notariales font l’objet d’une étude approfondie. La diversité du fonds documentaire nécessite de longs dépouillements afin de piocher les informations en rapport avec le sujet. Leur accumulation permet de recueillir d’importants renseignements sur l’histoire de chaque « montagne » située dans la zone d’étude, les usages relatifs à la jouissance, le mode d’exploitation des herbages, et l’identité des différents acteurs du système. Les gros propriétaires de « montagnes », comme les simples exploitants saisonniers sont pris en compte dans cette démarche.

En outre, le fonds Grimaldi, conservé aux archives de Monaco, et bientôt consultable sur le site internet des archives départementales du Cantal, est une autre source exploitable, du fait des informations qu’il contient sur la vicomté du Carladès. Les archives départementales du Puy-de-Dôme contenant le fonds de l’intendance d’Auvergne est également consulté pour ses mémoires et la correspondance entre l’intendant et les subdélégués. Tous les thèmes sont envisagés par les administrateurs, de l’état du commerce (de bestiaux et de fromages), aux mesures nécessaires contre les épizooties, en passant par l’évolution des productions agricoles (blé, fromage notamment)

Pour le XIXe siècle, les cadastres napoléoniens sont au cœur d’un travail sur l’espace, vu à travers la nature des différents types de biens relevés, le statut des parcelles ou encore la répartition des structures d’estive. La série O, comprenant les archives communales déposées, est révélatrice de la gestion des « montagnes » par les municipalités.

Parallèlement à ce travail, des études archéologiques sont effectués sur des sites d’habitat temporaire jugés représentatifs, parmi les centaines recensés dans la zone d’étude. L’analyse du matériel mis au jour et des données architecturales, renforcée par des datations radiocarbones, permettent de dater les structures et d’obtenir des informations inédites sur les différents types d’aménagement du territoire. La réalisation d’études paléo-environnementales (palynologiques et paléobotaniques), vient compléter ces données. Des enquêtes ethnographiques, enfin, permettent d’éclaircir certains points, notamment en termes de conditions de travail et de modalités d’exploitation du milieu naturel.

Violaine Nicolas
sous la direction de Jean-Marc Moriceau
Professeur d’Histoire moderne à l’université de Caen
CRHQ : UMR 6583

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