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ETUDE DE PRATIQUES
Le buron, une sociabilité archaïque
Le buron, une sociabilité archaïque

Dans la revue Langage et société (1979) Guy Pouget aborde la question de l’organisation humaine et les rapports entre les hommes travaillant dans les burons du Massif Central. Pour lui, une société pastorale archaïque qui inévitablement va disparaître.

"II existait dans le Massif Central (Aveyron, Cantal, Lozère) une forme de sociabilité pastorale qui, autrefois,, était répandue dans toutes les zones de montagnes. Cette sociabilité est liée à la fabrication du fromage. Les bases du système de production sont un troupeau de bovins qui transhument vers la "montagne", zone d’estive, et le buron, lieu où l’on habite et travaille. (1)

L’équipe traditionnelle de buronniers est composée de quatre hommes et se caractérise par une hiérarchie stricte et une répartition des tâches en fonction du statut au sein du groupe.

La journée de travail s’organise en trois étapes (traite, fabrication du fromage, repos) qui se répètent deux fois (le matin et l’après-midi). La préoccupation principale du buronnier est la production et la récupération du lait nécessaire à la fabrication du fromage ; c’est pourquoi le troupeau est l’objet de soins constants.

La production du "Cantal" comprend deux stades : la fabrication de la tome et la fabrication de la "fourme" (pour chaque stade, trois opérations entrent en jeu). La nourriture des buronniers est à la charge du fermier exploitant qui monte à la "montagne" les principales provisions (vin, viande, pain). Un complément de nourriture est produit au buron (petit jardin ou basse-cour). Pour tout ce qui est laitage (lait, beurre, fromage), les buronniers peuvent se servir à volonté. Si le régime alimentaire s’est amélioré il reste un des principaux thèmes de revendication

L’équipe du buron vit pendant quatre mois environ dans la promiscuité la plus totale. Dans de telles conditions, il est inévitable que surviennent des tensions. Le vacher (cantalès), "seul maître à bord", se charge de maintenir la cohésion de l’équipe car une équipe qui s’entend bien est la condition nécessaire pour un bon travail.

Les buronniers, vivant constamment dehors, ont une connaissance intuitive de la météorologie. Leurs qualifications principales concernent le troupeau ; leurs contacts permanents avec les bovins sont assimilables à des relations interpersonnelles et favorisent des connaissances pragmatiques pour les soins vétérinaires. La compétence des buronniers s’étend bien entendu à la fabrication du fromage. Tout un ensemble de qualités est exigé de ces hommes qui ont tout appris "sur le tas" (propreté, capacité d’intégrer un certain nombre d’informations, etc.). L’excellence dans la profession est sanctionnée par les concours de fromages. Les hommes du buron sont soit des salariés, soit de petits exploitants.

Ce qui caractérise le marché du travail, c’est que tous les protagonistes se connaissent. Il y avait autrefois trois groupes d’acteurs : l’exploitant Clo mèstre), le buronnier, le vacher (lo cantalès) qui formait son équipe. Aujourd’hui les rapports de louage ont lieu entre l’exploitant et les buronniers qui vont se louer au plus offrant ; mais on note actuellement un renversement entre l’offre et la demande.

 Le contrat de louage est oral et généralement sans témoins et bien que la plupart des hommes du buron bénéficient des avantages sociaux, une sorte de droit coutumier régit les rapports entre les acteurs. Les buronniers perçoivent un salaire à la fois en nature (porc à l’estive, cinq kilos de beurre, un kilo de tome) et en espèces (de 2 000 à 5 000 Francs).

Cette forme de sociabilité a aujourd’hui tendance à disparaitre. La production artisanale ne correspond plus aux exigences du marché (concurrence du fromage laitier) . Les charges sociales grèvent lourdement le budget des exploitants (les charges sociales d’une équipe de trois hommes équivalent au salaire d’un quatrième). Les "montagnes" à lait sont de plus en plus remplacées par des "montagnes" à viande : les troupeaux sont en stabulation libre et on prélève des veaux pour les engraisser à la ferme. Tous ces facteurs amènent une déstructuration de l’équipe du buron et beaucoup de jeunes refusent d’aller s’isoler dans les "montagnes" pour y vivre dans des conditions qui, si elles se sont améliorées, n’en demeurent pas moins très précaires eu égard à la dureté du travail. ..."

Guy Pouget

1) Une sociabilité pastorale archaïque : le buron. Texte paru en 1979 dans la revue Langage et société, supplément au n°9, 1979. Sociétés dominées, pratiques langagières dominées et stratégies alternatives. pp. 7-9.