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VOYAGE EN AUVERGNE
Observations sur les burons par Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy
Observations sur les burons par Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy

Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy (1737-1800) exerça les fonctions de bibliothécaire à la Bibliothèque nationale. Il fit un séjour en Auvergne en 1787 et 1788 chez son frère le Prieur de Saint-André, près de Clermont-Ferrand. Il écrivit une série de lettres à un ami rédacteur du Journal Général de France ou il donne de précieuses informations sur la vie en Auvergne au 18ème siècle, juste avant la Révolution. Dans l’une de ses lettres, il livre ses observations sur l’estive et les burons dans le Cantal. Extraits.

Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy (1737-1800) exerça les fonctions de bibliothécaire à la Bibliothèque nationale. Il fit un séjour en Auvergne en 1787 et 1788 chez son frère le Prieur de Saint-André, près de Clermont-Ferrand. Il écrivit une série de lettres à un ami rédacteur du Journal Général de France ou il donne de précieuses informations sur la vie en Auvergne au 18ème siècle, juste avant la Révolution. Dans l’une de ses lettres, il livre ses observations sur l’estive et les burons dans le Cantal. Extrait

« …On appelle buron, en Auvergne, ce qu’en Suisse on nomme chalet ; c’est-a-dire une cabane où celui qui a .pris, a loyer, des pacages et une certaine quantité de vaches, convertit journellement en fromages le lait que ses vaches lui fournissent…

Creuse en terre une cabane divisée en trois parties fais-lui des murs en mottes de gazon ; couvre-la de même ; à l’entrée de cette hutte obscure et mal-saine plante deux poteaux pour y suspendre une porte et voila un buron parlait ; voilà le séjour que doit habiter, pendant six mois entiers le fromager sans autre compagnie que ses valets, ses chiens et ses vaches.

La première pièce de ce bel appartement lui -sert à faire du feu, quand il en a besoin pour son métier. Dans la seconde il met ses sceaux ses instruments et le sel qui lui est nécessaire. Enfin, la troisième est le magasin de ses fromages, le lieu où il travaille son lait, et la chambre où il couche avec son monde car quoique ces-sortes de gens aient plusieurs chiens, et des chiens très méchants, ils craignent tant d’être volés, pendant la nuit, qu’ils n’osent dormir qu’au milieu de leurs marchandises. Les lits sont des caisses garnies de paille et placées, deux par deux l’une sur l’autre contre le mur.
Un cachot où l’on n’aurait pour enceinte et pour toit, que cette terre humide où l’on ne respirerait que cette odeur fétide de fromage et de lait caillé nous paraîtrait une torture inhumaine ; nous plaindrions le scélérat qu’on aurait eu la cruauté d’y condamner. Eh bien dans ces repaires pestilentiels, il y a des hommes libres qui les construisent pour eux et volontairement ils viennent les habiter…

Le terrain des montagnes est généralement si mauvais que pour en faire un bon pacage il est nécessaire de le fumer. Sans cette précaution il ne donnerait que des herbes grossières, et surtout ce mauvais gramen à soies de cochon nommé poil-de-bouc.
Chaque buronnier a soin de fumer tour-à-tour les diverses portions de la montagne, qu’il a prise à loyer et rien n’est plus facile. S’il n’a qu’un petit troupeau il ne s’agit que de le faire parquer successivement, chaque soir, sur toutes les parties du pacage. Si son troupeau est trop considérable pour pourvoir être, la nuit, enfermé dans des claies il établit son buron au centre de l’endroit qu’il veut engraisser puis, dans le jour, ayant soin que ses bêtes ne s’en écartent pas trop ; le soir les rassemblent et les faisant coucher progressivement de place en place, il finit bientôt, sans frais et sans peine, par couvrir du fumier de ses bestiaux le lieu qu’ils ont pâturé. Veut-il porter leur engrais ailleurs, il y construit un buron. Peu de jours lui suffisent pour former son établissement, et les animaux accoutumés à vivre près de lui, viennent se cantonner autour de sa nouvelle cabane.

C’est pour rendre faciles ces sortes de transmigrations que les burons sont construits si légèrement et à si peu de frais. Cependant il en est que des inconvénients ou des avantages locaux font bâtir en pierre et a demeure ; et tels sont spécialement la plupart de ceux des environs de Salers. Là les pacages étant de petites propriétés, possédées par des habitants de !a ville ou par des particuliers d’alentour, chacun emploie ses valets et ses propres bestiaux à faire valoir la sienne et comme elle est nécessairement une étendue médiocre, le buron y est fixe.

A ce bâtiment est attaché ordinairement un petit potager ou !e pâtre cultive certains herbages ou légumes a son usage ; une écurie pour quelques chevaux, un parc a demeure, construit avec de forts clayons ; enfin, un tect pour des porcs, qu’on engraisse, avec le restant des laits qui sont employés aux fromages. Tout cela forme une sorte de ferme à bestiaux, ou plutôt une vacherie ; et c’est sous ce dernier nom que désormais je distinguerai ces burons-ci des autres.

Indépendamment du parc inamovible, les vacheries en ont un autre, mobile, qui, comme toutes les enceintes de ce genre, se transporte à volonté d’une place à l’autre, et dans lequel le troupeau est renfermé tous les soirs.
S’il survient un de ces terribles ouragans, si fréquents sur les montagnes, on fait passer les bestiaux dans le parc stable et ils s’y trouvent un peu abrités par le bâtiment. Ceux des propriétaires qui ne sont point assez riches pour avoir la vacherie complète, et qui au lieu de deux parcs, n’en ont qu’un volant, emploient alors, pour garantir leurs bêtes, un autre moyen ; ce sont de hautes et fortes claies, qui se dressent et s’appuient contre Je flan extérieur de l’enceinte, afin de rompre la violence du vent et le fouet de la grêle ou de la pluie.

Quant aux burons mobiles lorsqu’on !es abandonne, on ne fait qu’enlever leur porte et arracher les bois qui soutenaient leur toit de gazon, mais on ne comble pas pas la fosse dans laquelle ils étaient creusés.
Bientôt la pluie et le vent faisant ébouler la terre dont les murs étaient construits. Il se forme alors autour de la fosse un large bourrelet. Plusieurs montagnes sont couvertes deces buttes à entonnoir… »
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Extrait de recueil de Pierre Jean-Baptiste Legrand d’Aussy, Voyage fait en 1787 et 1788, dans la ci-devant Haute et Basse Auvergne Tome II, lettre LIII, p393-397. Paris imprimerie des Sciences et Arts, an III (1XXX)